Il y a un an, saisie en urgence par nos associations, la justice belge prononçait sa première condamnation à l’égard de Fedasil et de l’État, avec ces mots cinglants : « Il est suffisamment démontré qu’à plusieurs reprises, des personnes empêchées de présenter leur demande de protection internationale, ont passé la nuit dehors, par des températures négatives et sans soins ni aucune prise en charge par les autorités compétentes, de sorte que la violation du droit à une vie digne est, prima facie, établie ».
Elle ordonnait à Fedasil d’accorder une place d’accueil à toute personne en demande d’asile, dès la présentation de sa demande, sans condition ni délai. Et ce, sous peine d’une astreinte, par jour où au moins une personne se verrait refuser ce droit.
Nos associations s’étaient réjouies de cette victoire judiciaire, s’imaginant, en toute logique, que les droits des personnes demandeuses d’asile seraient enfin respectés.
Nous étions loin de nous douter que ce n’était que le début de l’aggravation des défaillances de l’État, sur fond de blocage politique.
Depuis lors, nous avons multiplié les procédures en justice pour réclamer le respect de cette décision, pour augmenter les astreintes et maintenir la pression pour que l’État respecte ses obligations. Nous avons dû initier une procédure de saisie contre Fedasil pour obtenir le paiement de ces astreintes, qui s’élèvent à plus de 1,7 million d’euros. En vain… Face à l’absence de réponse de l’État, nous avons été contraint·es de poursuivre la procédure au fond devant le Tribunal de première instance de Bruxelles.
En outre, le Tribunal du travail a été saisi à quelque 7.000 reprises par des demandeur·euses d’asile laissé·es à la rue ! La présidente du Tribunal a elle-même relevé l’évidence de la violation des droits de ces personnes, et donc l’absurdité de ces procédures. Un magistrat a été jusqu’à informer le Parquet de ces faits qu’il considérait constitutifs d’une coalition de fonctionnaires…
Les avocat·es du barreau de Bruxelles et leur bâtonnier ont démultiplié les procédures et les déclarations pour contrer ce déni de droit commis par l’État. À la fin de l’année 2022, des avocat·es et des magistrat·es ont organisé les funérailles de l’État de droit, forcée·es d’acter que l’État belge ne respecte ni sa loi, ni les décisions de sa justice.
Les 1114 mesures ordonnées à la Belgique depuis novembre 2022 par la Cour européenne des droits de l’Homme n’ont pas non plus infléchi cette situation indigne…
Rien n’y a fait.
Alors qu’au début de cette « crise », les hommes isolés demandeurs d’asile étaient les seuls à être laissés à la rue, ils ont bientôt été rejoints par des mineurs non accompagnés, des familles, des personnes âgées, des malades… toutes personnes dont le droit d’être accueilli·es est bafoué.
Depuis des mois, des dizaines de demandeurs d’asile campent sous des bâches, installées sur un pont face au Petit-Château. En novembre 2022, un bâtiment inoccupé a été investi par des centaines d’autres, seule issue pour se mettre à l’abri des températures hivernales. Ce « Palais des droits » abrite un millier de personnes, dans des conditions d’hygiène, d’insalubrité et d’insécurité choquantes, ce dont les administrations concernées ont été dûment averties.
En septembre 2022, nos organisations ont envoyé au Premier ministre et à la secrétaire d’État une feuille de route, comportant une quarantaine de dispositions très concrètes pour résoudre cette situation. Elles ont été balayées d’un revers de main.
La phase fédérale de crise qui permettrait de réquisitionner des bâtiments et du personnel n’a toujours pas été déclenchée, pas plus que le plan de répartition des demandeurs d’asile. La mise à l’abri dans des hôtels ou des auberges de jeunesse continue d’être refusée.
Interpelée directement par la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, la secrétaire d’État, appuyée par le Premier ministre, continue de justifier la situation par un manque de moyens financiers, matériels et humains. La Belgique a pourtant bénéficié d’un soutien de l’Union européenne d’une valeur de 200 millions d’euros! Nous y voyons la confirmation du manque de volonté politique de sortir de cette débâcle.
Nous célébrons donc le pitoyable anniversaire de notre première victoire en justice, en constatant que les condamnations judiciaires belges et européennes n’ont rien pu contre les blocages politiques qui mènent au déni de droits, dont des milliers de personnes en demande d’asile sont les victimes.
Nous continuerons le combat pour le respect de la dignité des personnes qui demandent une protection internationale à la Belgique. Nous resterons à leurs côtés. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour attaquer en justice et mettre cette situation indigne sur le devant de l’actualité tant qu’elle persistera.
Et nous dénoncerons sans relâche l’attentisme des autorités qui prétendent faire « tout ce qu’elles peuvent », ou appliquent la stratégie de l’évitement gêné.
Signataires :
- ADDE – Association pour le droit des étrangers
- CIRÉ
- Hub humanitaire
- Ligue des droits humains
- Médecins du Monde
- Médecins sans Frontières
- Plateforme citoyenne – BelRefugees
- SAAMO
- Vluchtelingenwerk Vlaanderen
Contacts presse :
- Sotieta Ngo, directrice du CIRÉ : 0475 956228 (presse fr)
- Joost Depotter, coordinateur politique Vluchtelingenwerk Vlaanderen : 0478 599720 (presse nl)